Promise à la fonte par l’occupant allemand, l’imposante statue du général Lafayette, dressée boulevard Saint-Louis au Puy-en-Velay, a été enlevée par la Résistance locale voilà 80 ans, dans la nuit du 22 au 23 décembre 1943. Le directeur du Directeur du service départemental de l’ONACVG de la Haute-Loire revient sur cet événement.
Dans le prolongement du débarquement allié en Afrique du Nord quelques jours plus tôt, le 11 novembre 1942 les troupes allemandes et italiennes envahissent la zone dite « Libre ». Dès le mois suivant, les troupes de la Wehrmacht s’installent au cœur de la cité ponote. Le Verbindungsstab 995 – l’état-major de liaison – du Puy commandé par le major Julius Schmähling prend ses quartiers dans les locaux de la Maison Fontanille sur le boulevard Maréchal-Fayolle, tandis que le gros de la troupe cantonne à la Caserne Romeuf, la plupart des hôtels ayant été réquisitionnés en lien avec la municipalité pour loger les principaux officiers de la Kommandantur.
L’aide précieuse du commissaire de police Robert Brie
En guerre sur d’autres fronts, notamment dans l’Est de l’Europe, l’Allemagne se retrouve en besoin de métal. Un peu partout, les armées du Reich démontent alors des statues et des œuvres en métal pour les fondre et ainsi récupérer la matière première. Au Puy, la statue en bronze du général Lafayette, érigée en 1883 en l’honneur du « héros des deux mondes », est ainsi descendue de son piédestal à la mi-décembre 1943 sur ordre des autorités locales. Couchée sur le plateau d’un camion par l’entreprise de charpente des frères Perre (tous membres actifs de la Résistance, NDLR), qui possède le matériel requis pour soulever une telle charge (près d’une tonne), la statue est alors emmenée dans une allée du Fer à cheval, aujourd’hui jardin Henri-Vinay, dans l’attente de son départ pour la fonderie.
Ne pouvant laisser s’accomplir cette œuvre impie, la Résistance locale décide alors de tenter un sauvetage. C’est ainsi que dans la nuit du 17 au 18 décembre 1943, sous la supervision du résistant Lucien Volle, une dizaine d’hommes se rassemble et tente de sortir le camion sur lequel est chargée l’imposante statue.
Malheureusement pour eux, l’œuvre sculpturale est trop lourde et le camion gazogène s’embourbe dans le sol détrempé tandis que l’alerte est donnée. Les maquisards sont alors obligés de renoncer à leur projet, la rage au cœur, pour ne pas se faire arrêter.
Suite à cette malheureuse tentative, les résistants ne souhaitent pourtant pas abandonner aussi facilement. L’affaire s’annonce cependant plus compliquée, la statue ayant été placée dès le lendemain dans une cour à côté du musée Crozatier sur ordre des autorités. Or, pour atteindre ladite cour, il faut traverser le jardin Henri-Vinay, ce qui implique qu’aucune patrouille ne passe dans les parages au moment fatidique.
Pour les aider dans cette mission périlleuse, les résistants n’ont pas d’autre choix que de prendre l’attache du commissariat à qui l’on a confié la garde de la statue jusqu’à son départ. Or, la Résistance bénéficie d’un atout de taille, en pouvant compter sur l’aide précieuse du commissaire de police Robert Brie en personne. Ce dernier travaille alors avec sept autres fonctionnaires de police (le secrétaire de police Jean Avouac ; les inspecteurs Jean Bigeard et Lucien Ollier ; le brigadier-chef Émile Helten ; le brigadier Arthur Haas ; et les sous-brigadiers Marceau Valez et Marcel Fachaux) en relation étroite avec le Service de Renseignement des Mouvements Unis de Résistance (MUR) de Paul Becker (alias « capitaine Benoît ») depuis de longs mois pour protéger les réfractaires au STO, les personnes de confession juive et, plus largement, tous les résistants recherchés activement par la police allemande.
Plus de 70 hommes
Comme le raconte ultérieurement le commissaire Brie dans une note sur l’activité du commissariat sous l’Occupation, dans la perspective de ce nouvel enlèvement, c’est lui qui confie à Paul Monchalin (chef du service des « Liaisons » au sein des MUR qui supervise l’opération) l’endroit exact où est entreposée la statue, en faisant par ailleurs en sorte qu’aucune patrouille ne soit faite durant l’opération, et en mettant en dérangement la ligne téléphonique directe du musée.
Ce sont dans ces conditions que, trois jours plus tard, dans la nuit glacée du 22 au 23 décembre, les résistants procèdent à une seconde tentative d’enlèvement. Bien plus nombreux que lors du premier essai, plus de 70 hommes (dont une dizaine de sapeurs-pompiers volontaires) se glissent silencieusement dans l’espace du jardin Henri-Vinay en se partageant en deux groupes. Le premier se charge de la protection, tandis que le second est composé de résistants dont les compétences professionnelles sont indispensables à la réussite de l’opération : les frères Romain et Honoré Perre (charpentiers dont l’entreprise, déjà citée plus haut, se trouve rue Docteur-Richond-des-Brus à 300 mètres de l’entrée sud du Fer à Cheval, ce qui permet d’amener plus facilement le matériel de levage nécessaire à l’opération) avec leurs beaux-frères Louis Sabatier et Pascal Valliorgues ainsi que des employés de l’entreprise Marcel Peyron, Julien Chabanon et d’autres avec Pierre Hébrard (serrurier-ferronnier), qui mettra ses compétences au service de la cause, pour ouvrir les portes.
La statue manutentionnée est chargée sur une remorque de l’entreprise des frères Perre suffisamment solide pour soutenir le poids de l’énorme bronze, le tout dans le plus grand silence.
Or, tout à coup, l’alerte est donnée : la porte-fenêtre du local du concierge du musée s’éclaire ! Si l’on en croit les mémoires de Lucien Volle, il s’agissait d’une fausse alerte et le concierge aurait rapidement éteint la lumière. A contrario, dans le numéro du journal La Voix Républicaine de la Haute-Loire (l’organe de presse du Mouvement de Libération Nationale – MLN) des 3-4 décembre 1945, un journaliste rappelle que ce curieux dû pourtant « regagner sa loge reconduit par deux anges gardiens munis de mitraillettes »…
Montagnac, le village qui a caché deux ans durant la statue Lafayette
La remorque chargée de notre illustre Général est sortie à la force des bras des résistants du Fer à Cheval, pour être amarrée au camion Unic de Marcel Mounier, dit « Le Baron » ; mais à la porte du parc pas de camion ! « En ces temps de pénurie, la jauge d’essence indiquait nettement que le carburant allait faire défaut », nous apprennent les mémoires de Lucien Volle. C’est la raison pour laquelle Henri Billot (chef du service « Action » des MUR) et Élie Chabrier (adjoint du chef départemental « Maquis » des MUR et l’un des chefs du secteur du Puy) étaient partis chercher de l’essence dans une planque.
L’enlèvement a fait le tour du monde
Après avoir subi un accident du côté de Taulhac, ils finissent par arriver sur les lieux. Ce qui permet, avec du retard, à Lafayette de prendre la route pour sa nouvelle demeure : la bergerie de la ferme de la famille de Félix Bernard, située au village de Montagnac (commune de Solignac-sur-Loire).
« Le père Bernard et sa femme avaient aussitôt accepté, en dépit du danger qu’ils faisaient courir à leur grande famille. Ils avaient six enfants », précise Lucien Volle. À l’arrivée des résistants à la ferme, tout est prêt pour accueillir la statue. Un trou a été creusé. Pas très profond puisque le sol, rocheux, empêche de creuser plus. Félix Bernard recouvre alors la statue avec l’une de ses filles, Maria. « On a mis un râtelier à brebis pour cacher la main du général qui sortait, puis de la paille. Il avait d’abord été prévu que la statue serait mise dans un champ, mais on a craint qu’elle ne se voit. Alors mon père a décidé qu’on la mettrait dans la bergerie ».
La famille Bernard n’a pas été inquiétée hormis « lorsque les Allemands et le maquis (en l’occurrence, les membres du groupe “Georges” de Vergezac commandé par le lieutenant Georges Grenier, NDLR) se sont, plus tard, bagarrés près de chez nous (le 2 août 1944, NDLR). Il fallait voir ça, ils ont mis le feu à une ferme, chez Prunet. Nous étions partis dans les champs et les Allemands nous avaient tout saccagé dans les maisons. Ils étaient rentrés chez nous, mais ils ne sont pas venus dans la bergerie ! La chance ! », poursuit Maria Bernard dans un témoignage. « Nous ne saurions aujourd’hui trop exprimer notre gratitude à cette famille qui prit le risque le plus prolongé de garder dans sa bergerie l’illustre général », insiste Lucien Volle dans son livre.La statue du héros français de la révolution américaine aujourd’hui au cœur de la ville du Puy-en-Velay.
C’est par cet exploit que le groupe de résistants du secteur du Puy prend par la suite le nom de « Lafayette ». Un acte qui fait le tour du monde et qui fut relaté dans le bulletin de l’émission « Honneur et patrie » de la BBC par le porte-parole de la France Libre, Maurice Schumann, qui annonça fièrement : « Lafayette a pris le maquis ! »
Caché pendant deux ans
À l’époque, la presse locale ne relate que brièvement l’enlèvement de la statue. Ainsi dans La Liberté du Dimanche du 26 décembre 1943, il est indiqué sous le titre « Encore une victime – Lafayette nous quitte » : « Les Ponots ne verront plus se dessinant avec élégance dans la perspective du boulevard Saint-Louis la statue de La Fayette. Aujourd’hui même des ouvriers à l’aide d’un fort palan l’ont descendu de son piédestal. Et il est parti pour une destination inconnue ».
La statue du général reste alors cachée près de deux ans à Montagnac. En effet, même si la Libération du Puy intervient dès le 19 août 1944, Lafayette ne retrouve son piédestal que bien plus tard, le 2 décembre 1945. Ce jour-là, après un départ en grande pompe de Montagnac où les enfants des écoles entonnent La Marseillaise, une grande fête est organisée au Puy.
Un cortège de plus de 6.000 personnes s’élance jusqu’en haut du boulevard Saint-Louis où, avec les plus grandes précautions, le général est reposé sur son socle toujours (ironie de l’histoire) par le matériel et les ouvriers de l’entreprise de charpente des frères Perre, tous à l’œuvre pour effectuer la délicate manœuvre sous l’autorité de Pierre Perre, résistant de la première heure qui avait dû fuir le département pour échapper à l’occupant au mois d’octobre 1943 l’empêchant ainsi d’être présent lors du grand soir. La boucle était bouclée !
Matthieu Le Verge
Au premier rang de gauche à droite : Moïse Fauter ; Henri Chanès ; ? ; Jules Dufay ; Marcel Peyron ; Jean Lafont ; ? ; Pierre Perre ; Henri Billot ; Emile Andrieux ; Félix Bernard ; Robert Mercier ; Elie Chabrier ; Louis Martin ; Marcel Mounier ; ? ; Jean Quinqueton ; ?.
Au deuxième rang de gauche à droite : Honoré Perre ; Louis Chenebert ; ? ; ? ; Pierre Hebrard ; ? ; ? ; ? ; Auguste Aboulin ; Jean Hecart ; Joseph Jourde ; ? ; Lucien Volle ; Louis Sabatier ; André Courriol ; Joseph Livernois ; René Peyrollier ; ? ; Romain Perre ; ? ; ? ; Marie Sabatier (née Perre) ; Pierre Pestre ; Joseph Dufay.
Pour tout renseignement relatif à des personnes non identifiées de cette photo, contacter Matthieu Le Verge, directeur du service départemental de l’ONaCVG aux coordonnées suivantes : dir.sd43@onacvg.fr ou au 04.71.09.92.78.
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