L’unique librairie indépendante généraliste du Puy ferme à la fin du mois, faute de trésorerie suffisante. Un coup dur pour les libraires.
La rue Saint-Jacques apparaît déserte en cette après-midi de janvier. Le froid aurait-il chassé les chalands ? Les fêtes, il est vrai, sont terminées. Et puis, on est dans le ventre mou de la semaine. Les décors de Noël sont restés dans la vitrine de l’Arbre à livres et devant la boutique, comme pour essayer de prolonger l’ambiance, de capter les regards. Encore un peu, juste quelques jours.
L’apparence est trompeuse. L’intérieur de la boutique tout en longueur s’est vidé. Envolées les étagères encore chargées de livres les mois passés. Les poches, ouvrages historiques et pratiques s’étalent désormais sur un même présentoir ou une même table. Il convient de meubler l’espace, faute de pouvoir offrir à voir, à toucher, à sentir les livres.
Un manque de trésorerie et donc l’impossibilité de renouveler les stocks
Thibault Ferrand, le libraire, annonce désormais officiellement ce que beaucoup savaient déjà depuis quelques semaines : pour l’unique librairie généraliste indépendante du Puy, les rayons dégarnis sonnent la fin, et bien plus d’une simple histoire commerciale, car une librairie n’est pas tout à fait un commerce comme les autres. L’Arbre à livres cessera définitivement son activité à la fin du mois de janvier.
Les ventes ont plongé en 2023, sans doute même un peu avant. Le commerce a subi l’effet boule de neige : un manque de trésorerie et donc l’impossibilité de renouveler les stocks. Ces derniers temps, Thibault Ferrand et Diane son épouse ont dû renoncer à assurer les commandes des clients. La double peine au moment des fêtes de fin d’année.
« Dans une ville comme Le Puy, qu’une librairie indépendante soit contrainte de fermer, c’est étrange », remarque Luc Olivier des Éditions Hauteur d’homme. Ce dernier est venu chercher les ouvrages qu’il avait confiés en dépôt-vente. Des confrères libraires de l’Arbre à livres ont déjà récupéré, qui une petite étagère, qui un lot de présentoirs. Diane et Thibault y voient « une manière de limiter les pertes ».
Des ouvrages invendus pourront être retournés aux éditeurs. Mais pas tous. « Il suffit qu’un distributeur ait changé, pour que les livres ne soient pas repris, y compris pour ceux qui avaient été commandés depuis moins d’un an », regrette Diane. Le commerce va proposer des promotions sur certains produits autres que les livres, comme sur les chaussons en laine des Pyrénées. Ces chaussons, c’était une idée de Diane. Touchante attention de vouloir dorloter ses clients, les invitant à bouquiner les pieds au chaud, tout en diversifiant un peu l’offre des produits. Des jeux de fabrication française seront peut-être repris par un autre commerce du bassin ponot.
Dans cette atmosphère de destin en suspens, où l’on chuchote plus qu’on ne parle, par pudeur, pour ne pas exacerber le sentiment de tristesse, le rire clair de sœur Sandrine apporte pourtant un peu de baume au cœur de Thibault et de Diane. La religieuse ayant eu vent de la cessation d’activité a fait le déplacement depuis Notre-Dame-des-Neige pour rendre visite aux libraires afin de leur racheter « à prix coûtant » des croix, santons et autres articles pour la boutique de l’abbaye.
« L’embellie aura duré 18 mois »
À sa création en 2014, l’Arbre à libre avait repris en quelque sorte le « fonds de commerce » de feu Siloë en privilégiant les ouvrages et objets religieux avant de développer le côté « généraliste » de la librairie, ayant soin d’accorder une place à des maisons d’édition très diverses. Des maisons au large rayonnement comme par exemple Gallmeister, la « chouchoute » de Thibault, spécialisée en littérature nord-américaine. On se souvient de la venue au Puy, au printemps 2022 de l’auteur à succès de polars, Craig Johnson. Une place aussi aux « petits » éditeurs locaux.
L’après Covid qui voyait se multiplier les déclarations d’amour à la librairie indépendante et décoller les chiffres de ventes de livres avait rendu le couple de libraires euphorique, au point d’échafauder des projets, d’envisager de développer le rayon jeunesse. Peut-être même a-t-il un temps envisagé de trouver des locaux plus spacieux. L’enthousiasme est retombé tel un soufflet. « L’embellie aura duré 18 mois », révèle Thibault.
Selon le dernier communiqué publié par le Centre national du livre (CNL), l’année 2022 aurait vu la création de 142 librairies indépendantes en France métropolitaine. Après un léger recul enregistré en 2019-2020, le nombre de créations d’enseignes a bondi en 2021, atteignant 140 nouvelles librairies (plus du double de 2020). L’année 2022 voyait donc se maintenir cette forte progression.
Alors pourquoi Le Puy ne profite-t-il pas de la tendance observée dans des communes plus modestes en Haute-Loire, Yssingeaux, La Chaise-Dieu ? Thibault Ferrand prédit en tout cas de manière plus globale, des jours plus sombres pour le secteur de la librairie. Selon une étude barométrique du CNL, le temps consacré à la lecture est très inférieur à celui passé sur écran, à faire autre chose que lire un livre. Les Français consacrent en moyenne 41 minutes par jour (soit 4 h 47 par semaine à lire des livres) quand ils passent 3 h 14 par jour (soit 22 h 38 par semaine) sur écran et non pour se plonger dans une œuvre littéraire.
La littérature est délaissée au profit de la BD et des mangas en particulier. La rentabilité de la librairie est faible, ainsi que l’a montrée une étude menée à l’initiative conjointe du Syndicat de la librairie française, du Syndicat national de l’édition et du ministère de la Culture, puisque son résultat net s’établit globalement à seulement 1,4 %. Avec toutefois des différences entre les plus grosses librairies, pour lesquelles ce résultat monte à 2 %, et les plus petites pour lesquelles il baisse à seulement 0,6 %.
Du volume pour des marges
Enfin, ce type de commerce, si cher soit-il au cœur des Français, est confronté à la concurrence croissante de la vente en ligne (Amazon en tête), qui gagne régulièrement des parts de marché. « Quand on vit une situation inflationniste, le livre sert de variable d’ajustement », assure Thibault Ferrand. Et d’ajouter : « Il y a plein de signaux paradoxaux. Il existe des niches : les mangas cartonnent, la BD ne se porte pas trop mal. En librairie généraliste, on est contraint de compenser la faiblesse de la marge par un certain volume ». Diane ajoute : « Ceux qui ont de gros volumes seront capables de négocier de grosses remises. On a pu obtenir jusqu’à 40 %, mais parfois la remise ne dépasse pas les 15 % ».
Thibault Ferrand : « La situation de la librairie est une chose, mais plus généralement, elle n’est guère florissante pour le commerce de centre-ville. Aux clients à qui on a annoncé qu’on fermait, beaucoup nous ont répondu qu’ils iraient sur Amazon ce qui prouve qu’il n’y plus de blocage. Cette habitude de consommation est déjà ancrée ».
Philippe Suc
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