L’année qui s’ouvre sera marquée par des cérémonies autour du 80e anniversaire de la Libération du territoire français et les rappels historiques ne manqueront pas. Richard Crespy, professeur d’histoire-géographie et historien local, propose ici de revenir sur un évènement tragique survenu début 1944 au Puy et dont témoigne une plaque méconnue, installée dans la rue des Mourgues.
Le directeur du service départemental de l’ONACVG de la Haute-Loire, Matthieu Le Verge, a rappelé L’Éveil du mercredi 27 décembre un évènement marquant de l’histoire locale en lien avec la Seconde Guerre mondiale : l’enlèvement de la statue Lafayette, en décembre 1943 au Puy par un groupe de résistants. Cette action symbolique avait montré aux yeux du public mais aussi de l’armée allemande les nouvelles capacités de la Résistance et reste assez bien ancrée dans la mémoire collective.
À l’instar de ce qui pouvait se passer dans d’autres lieux en France, elle pouvait compter sur des effectifs plus nombreux, davantage équipés et bien plus déterminés à mener des actions contre l’occupant, d’autant qu’ils pouvaient bénéficier de certaines complicités au sein de la police et de l’administration locale. Ce fut d’ailleurs le cas pour le rapt de la célèbre statue au Puy.
La formation de maquis tout au long de l’année 1943 en lien avec la création du Service de travail obligatoire (STO) en Allemagne pour les jeunes Français, participa aussi à cet élan patriotique. Mais, le développement de la Résistance eut pour conséquences une recrudescence des contrôles, de la recherche d’informations afin d’arrêter des suspects, de démanteler des groupes clandestins ; tout cela dans un contexte de plus en plus tendu.
Ces opérations pouvaient être menées par les Allemands mais ces derniers ne disposaient pas de troupes très nombreuses, ils connaissaient mal le terrain et l’apport des autorités françaises se révélait indispensable pour les effectuer, avec plus ou moins de succès. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’arrivée au Puy, le samedi 8 janvier 1944 dans l’après-midi, d’une cinquantaine de policiers et forces de l’ordre. Toutefois, il n’y eut pas de liens entre le coup d’éclat des résistants en décembre 1943 et cette opération.
Après s’être rendus à la préfecture, les policiers accompagnés de gardes mobiles de réserve (GMR) investirent le boulevard du Breuil afin d’effectuer des contrôles dans les bars à la recherche de suspects. Le fait qu’ils venaient de Clermont, que les policiers locaux ne furent pas avertis au préalable ni intégrés au dispositif de recherche montre bien que la confiance ne régnait pas au sein des services de sécurité.La rue des Mourgues est à quelques mètres de la mairie ponote, parallèle au Breuil.
Une ville entre deuil et colère
La perquisition débuta à 19 heures et deux débits de boissons furent particulièrement ciblés. Si dans celui tenu par la famille Reynaud rien de particulier se passa, il n’en fut pas de même dans le café Pansier. Un des clients, Régis Bardel, prit la fuite par une porte dérobée donnant sur la rue des Mourgues, poursuivi par un garde mobile. Ce dernier tira une première rafale de mitraillette qui fit tomber le fuyard sans le blesser. Puis, une seconde rafale atteignit une jeune ponote de 19 ans, Louise Damon, qui rentrait chez ses parents après avoir été acheté du pain. Grièvement blessée, la jeune fille décéda dans la nuit. Les policiers clermontois quittèrent Le Puy le lendemain pour se diriger vers le Meygal, toujours dans une logique de débusquer des suspects dans une zone où plusieurs maquis s’étaient formés. L’envergure de l’opération et son issue tragique provoquèrent la consternation dans la ville et une sourde colère se manifesta au moment des obsèques de la jeune fille, trois jours plus tard. Celles-ci eurent lieu à l’église du Collège en présence du préfet André Bousquet, du maire du Puy, Eugène Pébellier, et de l’ensemble de son conseil municipal.
Les Ponots étaient venus en très grand nombre témoigner leur sympathie à l’égard de la famille éplorée. Un cortège funèbre se mit en place à partir de la rue des Mourgues, empruntant la rue Saint-Gilles puis la place du Plot, la rue Courrerie, la place du Clauzel et, enfin, la rue du Collège. En tête, on retrouvait des jeunes filles du collège technique, des délégations des deux lycées publics, des représentants de l’Union sportive du Velay et de la section féminine de l’Association sportive du Puy. Chaque association portait un drap funéraire. Le corbillard était entièrement revêtu de blanc.
La presse fit un large écho de l’évènement, ce qui peut surprendre compte tenu de la censure en place. L’affaire n’était pas glorieuse pour les autorités françaises. Ni le préfet, ni le maire ne prirent la parole. Les représentants locaux de la police, bien que non impliqués dans l’affaire, furent hués par la foule présente. Mais, la presse passa sous silence cette réaction populaire.
Le rassemblement de plusieurs milliers de personnes pouvait aussi interpeller car les restrictions des libertés publiques étaient bien réelles et elles s’étaient même renforcées depuis l’installation des troupes allemandes au Puy, fin 1942. Les circonstances permirent de braver l’interdit, l’occupant se tenant à l’écart d’une affaire qu’il estimait, à juste titre, franco-française.
La cérémonie religieuse fut présidée par l’évêque du Puy, Mgr Martin, ce qui là aussi montrait bien la singularité de l’évènement. L’hebdomadaire La Liberté du dimanche (classé à droite avant la guerre) résuma la cérémonie par un « hommage pieux rendu par toute une ville à l’innocente victime du tragique incident… on gardera le souvenir de la riante jeune victime innocente de la folie des hommes ».
Le quotidien La Haute-Loire (classé au centre-gauche avant la guerre) publia entièrement l’homélie du prélat qui témoignait « de la consternation de tout un peuple paisible, disant tout haut ce que chacun pense avec une liberté de parole qui semble avoir trouvé dans la chaire son dernier refuge ».La cérémonie religieuse des obsèques de Louise Damon fut présidée par l’évêque du Puy, Mgr Martin, ce qui là aussi montrait bien la singularité de l’évènement, qui a attiré des milliers de Ponots, malgré les restrictions des libertés à l’époque.
Mgr Martin rendit d’abord hommage à la jeune fille, soulignant sa piété chrétienne. Il s’efforça ensuite de donner un sens spirituel à la tragédie : « Chers parents éplorés, votre fille disparue n’est pas morte. Elle vous aime plus que jamais. Elle veille et veillera sur vous, sur tous les siens, sur nous, je l’espère sur notre chère petite cité, sur la Patrie. Déjà ne sentons-nous pas la force de sa douce influence sur nous ? Elle nous a rapprochés. Hier nous ne nous connaissions pas. Aujourd’hui nous sommes intimement unis. En apprenant la tragique nouvelle, toute la ville du Puy, autorités en tête, s’est resserrée autour de vous dans un grand mouvement de solidarité familiale, montrant ainsi que nous étions tous touchés avec vous. Son absence sera désormais dans votre vie une présence secrète, sa mort une invitation permanente à vous détacher de la terre, à vivre au Ciel par la pensée, par le cœur, par l’espérance ».
Des poursuites à la Libération
Il termina son propos par un appel à l’unité : « Que l’union fraternelle dont nous donnons l’exemple en ce moment s’étende et que tous les Français se décident enfin à s’unir fraternellement dans leur épreuve comme nous sommes unis, ensemble, aujourd’hui en esprit de grande famille ». Compte tenu du contexte de l’époque, ces propos pouvaient paraître vains, bien sûr. À la sortie de l’église, le cortège se reforma en direction du boulevard de la République où la dislocation eut lieu. Fallait-il voir un message politique derrière cela ? Difficile à dire. À cette époque, ce quartier est encore peu urbanisé mis (à part l’actuel centre Roger-Fourneyron qui existait déjà) : on se trouvait aux limites de la ville. Louise Damon fut inhumée à Saint-Étienne, terre d’origine de ses parents, il était donc aussi logique que le cortège s’arrête à cet endroit-là.
À l’automne 1944, les journaux mentionnaient la tenue d’un procès au tribunal correctionnel du Puy concernant le garde mobile ayant tiré sur la jeune fille. André Gode, 24 ans, est inculpé d’homicide involontaire. L’Appel de la Haute-Loire, qui est l’organe de presse du comité départemental de Libération, titrait l’article consacré à l’affaire ainsi : « Le meurtrier de Louise Damon a comparu devant le tribunal du Puy ». Le vocabulaire employé n’est bien sûr pas neutre mais, il faut remarquer que l’affaire ne fut pas jugée sous l’angle de la collaboration avec l’ennemi. L’Éveil de la Haute-Loire de son côté, parla d’une « perquisition effectuée dans des conditions déplorables, de policiers imprudents paraissant ne pas connaître les rudiments de leur métier avec des tirs trop hauts dans une rue mal éclairée à une heure d’affluence ». Au cours du procès, pour sa défense, l’accusé indiqua avoir fait des sommations. Son avocat, maître Beaune, rejeta la responsabilité sur la mauvaise organisation de la police ce soir-là et sur sa négligence.
La famille de la victime fut défendue par le bâtonnier, maître Malzieu. Selon lui, le garde mobile n’était pas menacé et avait agi par imprudence. Il réclama 500.000 francs de dédommagement pour ses clients, dont 50.000 seraient payés par l’accusé. Mis en délibéré, le jugement était rendu fin novembre. André Gode fut condamné à 4 mois de prison ferme et à payer la somme de 20.000 francs à la partie civile. L’administration dut également payer un dédommagement à la famille, mais les sources consultées ne précisaient pas son montant.
Épilogue d’une tragédie
Le verdict du tribunal pouvait paraître clément mais l’acte d’accusation ne permettait pas d’aller bien plus loin. La justice avait pu être rendue malgré tout dans un contexte qui était loin d’être apaisé. Après la guerre, le groupe de résistants Lafayette installa, dans les rues du Puy, diverses plaques commémoratives pour rappeler les évènements de la Libération et les morts qui en résultèrent. Ils n’oublièrent pas l’affaire Louise Damon en installant une plaque rue des Mourgues. Ce faisant, ils plaçaient la jeune fille et les résistants morts au combat sur un pied d’égalité. La dédicace ciblait explicitement la police du régime de Vichy, ce qui correspondait à la réalité des évènements.
Avec le recul, l’affaire montre une fois de plus qu’une guerre brise des destins individuels, ce qui ne saurait surprendre personne. Elle souligne aussi que ce conflit fut pour notre pays une période de guerre civile, ce qui explique que sa mémoire reste encore vivace et parfois polémique. Le rappel historique des faits n’est donc pas inutile afin d’éviter des instrumentalisations toujours regrettables.
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