Jusqu’au moment de leur retraite, et avant de devenir des écrivains prolifiques présents dans toutes les manifestations littéraires du département, Bernard Soulier et Jean-Williams Semeraro ont passé la majorité de leur vie d’abord sur les bancs de l’école puis sur l’estrade, devant le tableau noir, pour le premier et au sein de l’administration scolaire pour le second. Bernard Soulier a fini sa carrière à la tête d’une des plus grandes écoles du département. Jean-Williams Semeraro, à la tête des services départementaux de l’Education-Nationale. Des spécialistes du « mammouth » en quelque sorte, qui portent un regard à la fois attendri et sévère sur une institution qui ne cesse de faire parler d’elle. Rencontre avec deux acteurs passés de l’Ecole en Haute-Loire.
- Vous avez tous les deux, passé une grande partie de votre vie au sein de l’Education -Nationale. En tant qu’élèves d’abord, puis en tant que professionnels. Cette institution occupe d’ailleurs une place certaine dans votre cheminement littéraire. Quel type d’élève étiez vous et quels sont vos souvenirs d’élèves ?
» Je n’oublierai jamais l’enseignant que j’avais à ce moment-là » Bernard Soulier
BS : C’était dans les années soixante. Dans le Gévaudan, à Chanteloube, sur la commune d’Auvers. Une classe unique, avec une dizaine de gamins seulement. L’ambiance était hyper familiale. Je n’oublierai jamais l’enseignant que j’avais à ce moment là. C’est très certainement lui, le plus beau souvenir de mes années d’élève. Il venait de la région de Montpellier. Il avait pas mal roulé sa bosse et bourlingué en Afrique. Après le désert saharien, il a fini par atterrir dans la Margeride, j’ai jamais compris pourquoi. Je crois qu’il aimait tout ce qui était sauvage et que c’était un grand solitaire. Il était hyper proche de ses élèves et pratiquait une pédagogie active, proche de celle de Freinet. Je n’ai que des bons souvenirs de ces années là, vraiment.
» J’ai vécu en tant qu’écolier, tout ce que peuvent encore vivre aujourd’hui les élèves issus de l’immigration ou d’un milieu social défavorisé » Jean-Williams Semeraro
JWS : Je suis issu d’une famille d’immigrés italiens. D’un milieu ouvrier. J’ai fait toute ma scolarité en région parisienne. Ma langue maternelle, c’était pas le Français mais l’italien ou le patois parlé dans les Pouilles ou dans le Piémont. J’ai donc vécu, en tant qu’écolier, tout ce que peuvent encore vivre aujourd’hui, les élèves issus de l’immigration ou d’un milieu social défavorisé. Des difficultés dans l’apprentissage de la langue, des difficultés sociales ainsi qu’une certaine discrimination systémique. Je me souviens par exemple d’une séance de ciné-club à laquelle je n’avais pas pu assister : parce que je n’avais pas osé demander à mes parents de me donner un franc, on m’en avait interdit l’entrée. Je me souviens aussi de la manière dont on m’avait envoyé » jouer au mécano » au fond de la classe parce que je n’arrivais pas à tracer un 8. Et puis je me souviens surtout, à la fin du collège, avoir été orienté en section technique, parce que j’étais fils d’ouvrier et rien que pour cela. Mais je garde un souvenir merveilleux de madame Cailloux, mon institutrice de CP qui m’a appris à parler Français.
- Comment avez-vous finalement rejoint ce ministère ?
» Je suis devenu enseignant totalement par hasard » B.S
BS : Je suis devenu enseignant totalement par hasard. Figurez-vous que je voulais devenir épicier ambulant. Mais au collège, à Langeac, on m’a trouvé plutôt bon élève, et dans les années soixante-dix, les bons élèves, on les poussait à faire l’Ecole – Normale pour devenir instit. J’ai fait ce qu’on me disait de faire. Mais la vocation m’est venue plus tard, au contact de mes premiers élèves. J’ai beaucoup enseigné dans des classes uniques, c’est hyper formateur, mais il n’en existe presque plus malheureusement. Et j’ai fini ma carrière à Saint-Paulien, en tant que directeur d’une très grosse école de huit classes et de 200 élèves.
» J’ai tordu le coup aux déterminismes sociaux » J.W.S
JWS : J’ai défié toutes les statistiques et tordu le coup aux déterminismes sociaux. Après un parcours secondaire dans l’enseignement technique, dans le domaine de la construction mécanique, je me suis dit que je n’étais décidément pas fait pour cela. J’ai donc tenté ma chance et suis devenu agent contractuel de l’Education-Nationale dans les années quatre-vingt tout en reprenant des études en parallèle. Ça m’a permis de gravir tous les échelons de l’administration de l’Education-Nationale pour finir par réussir le concours d’Inspecteur d’Académie et terminé ma longue carrière en Haute-Loire.
- Vous êtes dorénavant retraités tous les deux, quel regard portez-vous sur la situation de l’Ecole aujourd’hui ?
» La société attend énormément de ses enseignants mais leur donne de moins en moins de moyens » B.S
BS : Je regarde ça de loin dorénavant. Mais je pense que la principale évolution, qui n’est pas forcément positive, tient à l’évolution récente des mentalités. Celles des parents et celles des enfants. La société attend énormément de ses enseignants, sans doute avec raison. Mais la même société leur donne de moins en moins de moyens et ne les soutient plus, alors qu’ils ont besoin de travailler dans une relation de confiance avec elle. Dans ma carrière, j’ai toujours été considéré.Je pense que ce n’est plus le cas pour les enseignants aujourd’hui. C’est ce qui explique, je pense, que plus personne ne veuille faire ce métier aujourd’hui. Moi le premier, j’ai déconseillé à mes enfants de s’engager dans cette voie.
» L’Ecole souffre des maux de la société » J.W.S
JWS : L’Ecole est en crise aujourd’hui. C’est indéniable. Une de mes priorités, tout au long de ma carrière dans ce ministère, c’était de promouvoir la mixité sociale et la socialisation tout en luttant au maximum contre le décrochage et la marginalisation scolaires. J’ai apporté ma pierre à cet édifice, mais je dois constater aujourd’hui qu’en France, ces deux problèmes sont encore loin d’être réglés. L’Ecole souffre des maux de la société. L’Ecole souffre d’une politique de la ville qui n’est pas à la hauteur de ce qu’elle devrait être. J’ai été moi-même victime d’une forme de déterminisme alors que j’étais élève et je constate que cinquante ans après, une certaine partie de notre jeunesse, celle des quartiers, vit la même situation. On la culpabilise, pour tenter de se défausser, on la stigmatise, alors qu’on ne lui a pas permis d’atteindre les compétences nécessaires pour lui permettre de se socialiser. L’Ecole a manqué son but. Clairement.
- Mais lui donne-t-on suffisamment de moyens?
» On a détricoté plein de choses qui marchaient plutôt bien » J.W.S
JWS : Je ne pense pas, non. Le tournant de la rigueur a vraiment commencé sous la présidence Sarkozy. L’Ecole a été pour lui, une réserve d’économies budgétaires. Son ministre de l’Education-Nationale, conseillé par un certain Jean-Michel Blanquer, a supprimé 145 000 postes et détricoté plein de choses qui marchaient plutôt bien, comme les Rased par exemple. Il n’y avait plus de grand dessein pour l’institution scolaire, plus beaucoup de bienveillance à l’égard des enseignants ou des élèves. C’est de cette période que date d’ailleurs le début de ce qu’on appelle aujourd’hui la crise des vocations. Le nouveau ministre, Gabriel Attal a beau déplorer que beaucoup d’élèves ne savent ni lire, ni compter à leur entrée au Collège. Il oublie de préciser que lorsque ces derniers étaient au CP, c’est Jean-Michel Blanquer qui était ministre.
- Et les enseignants ?
» Gérer une classe toute une journée c’est hyper fatigant » B.S
BS : C’est le plus beau métier du monde, mais sans doute l’un des plus difficiles et des plus éprouvants. Gérer une classe toute une journée c’est hyper fatigant. Et ça l’est de plus en plus je crois. Au début de ma carrière, je ne comprenais pas pourquoi je n’arrivais pas à faire parler mes élèves. A la fin de ma carrière, je ne comprenais pas pourquoi je n’arrivais pas à les faire taire. C’est assez révélateur de ce qu’il se passe.
» Ils doivent se battre également pour eux, pour mieux gagner leur vie, ils le méritent » J.W.S
JWS : Ce sont parmi les derniers à se battre encore pour nous permettre d’envisager l’avenir avec optimisme. Ils mettent tout en place pour maintenir du lien social, faire en sorte que notre jeunesse s’intègre au mieux dans une société en crise et puisse vivre dans la dignité. Ils ne sont pas assez reconnus. Ils doivent se battre également pour eux, pour mieux gagner leur vie. Ils le méritent.
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